De la libre adaptation à la version originale « Faust » de Goethe. Adaptation et mise en scène Valentine Losseau et Raphaël Navarro. Du 21 mars au 6 mai 2018, Théâtre du Vieux-Colombier.
Le Sturm und Drang ou « Tempête et élan », mouvement littéraire né vers 1770 en Allemagne en réaction à la philosophie des Lumières et à la tragédie française, nourrit le courant romantique qui gagne rapidement l’Europe au début du XIXe siècle. De nouveaux horizons s’ouvrent aux auteurs et spectateurs qui découvrent les dramaturges grâce aux échanges littéraires et humains et, plus précisément, grâce aux adaptations. Leur histoire à la Comédie-Française est révélatrice de l’attention portée au public du XIXe siècle à nos jours.
Pendant la première moitié du XIXe siècle, le théâtre allemand, alors connu par des traductions du milieu du XVIIIe siècle et très en vogue après la Révolution, est un des principaux répertoires étrangers joué à la Comédie-Française, et cela dans de libres adaptations, passage obligé pour entrer au répertoire. Bien qu’il ait été hostile tant au classicisme qu’au romantisme, August von Kotzebue est l’un des premiers auteurs allemands de la période dite romantique à être en 1799 présenté à la Comédie-Française, avec l’adaptation de sa pièce Les Deux frères par Matthias Weiss, Louis-François Jauffret et Joseph Patrat.
Suit Schiller dont les spectateurs découvrent en 1820 à la Porte Saint-Martin et à la Comédie-Française Marie Stuart, drame loué par Mme de Staël dans De l’Allemagne, dans l’adaptation de Pierre-Antoine Le Brun, avec Mlle Duchesnois dans le rôle-titre. Sous l’influence du comédien Talma, qui avait découvert les pièces de Schiller à Weimar en 1808, cette version resserre l’action et mêle aux convenances de la tragédie classique les innovations allemandes. Talma renouvelle ainsi par son jeu le caractère peint par Le Brun. Cette adaptation du théâtre allemand à la scène française lui vaut un franc succès.
Si l’on excepte la représentation de Nathan le Sage de Lessing, adapté par Chénier, les années 1820 sont celles de Schiller et Intrigue et amour apparaît dans de nombreuses versions et adaptations, notamment celle de Laville de Mirmon (1826) qui est particulièrement éloignée de la version originale. Cette dernière est qualifiée de pâle copie de l’œuvre schillérienne qui aurait, dit-on, influencé Hugo pour l’écriture d’Hernani. La critique regrette aussi de voir Mlle Mars incarner une Louise Miller qui lui paraît trop larmoyante.
C’est par souci de fidélité à la version originale que les traductions supplantent peu à peu, à partir des années 1850, les libres adaptions. Après avoir été représenté dans une adaptation de L. Bursay et Julie Molé en 1800, Misanthropie et repentir de Kotzebue y est de nouveau joué en 1855 dans une traduction de Gérard de Nerval. Et quel « romantique » autre que Nerval était plus à même de traduire aussi l’œuvre de Goethe, célébrissime depuis la publication de son roman Werther ? Goethe lui-même reconnait que sa traduction de Faust en 1828 lui a permis de redécouvrir son propre texte (qui ne figurera au répertoire de la Comédie-Française qu’en 1999). Il faudra attendre les circonstances exceptionnelles de l’Occupation pour voir au Français une pièce signée de Goethe (Iphigénie en Tauride en 1942).
Ce n’est qu’à partir de 1963 que les romantiques d’outre-Rhin reviennent sur la scène du Français, et, coïncidence ou pas, surtout à partir de 1989, année de la chute du mur de Berlin. Souvent les mêmes que celles adaptées au XIXe siècle, leurs pièces sont alors interprétées dans des traductions plus fidèles au texte original mais, de par les partis-pris artistiques des mises en scène, elles comportent une part de subjectivité, comme les réécritures du siècle précédent.
Ainsi, la fortune de Marie Stuart de Schiller se poursuit sous des éclairages différents avec les mises en scène de Raymond Hermantier en 1963 (adaptation de Charles Charras) et de Bernard Sobel au Festival d’Avignon en 1983 (traduction de François Rey). C’est dans un « langage direct, proche de chaque personnage » que Marcel Bluwal signe en 1995 la traduction d’Intrigue et amour dont il assure également la mise en scène.
Pour sa part, le metteur en scène allemand Alexander Lang est avant tout frappé par le thème très actuel de la tolérance religieuse développé par Lessing dansNathan le Sage (en 1997).
La présence de Goethe à la Comédie-Française s’affirme aussi avec deux entrées au Répertoire : Torquato Tasso (mise en scèe de Bruno Bayen en 1989) et Faust (mise en scène de Lang en 1999).
Sous l’administration de Jean-Pierre Miquel, et surtout à partir de la saison 1995-1996 consacrée notamment aux rapports franco-allemands, d’autres romantiques viennent séduire les spectateurs du Français. À côté deLéo Burckart de Nerval traitant de l’Allemagne, Heinrich von Kleist entre au Répertoire avecLe Prince de Hombourg, traduit par Bernard Chatellier et monté par Lang qui aura donc porté à la scène du Français trois grands textes du romantisme allemand.
En 2002, son (ex) compatriote Matthias Langhoff accompagne l’entrée au répertoire de Georg Büchner avec Lenz, Léonce et Léna. À la différence, par exemple, de Bluwal qui avait adapté Intrigue et amour à la représentation en offrant au public une version écourtée, Langhoff monte simultanément deux textes distincts de Büchner, un récit et une comédie traduits par Bernard Dort, qui s’éclairent mutuellement.
Parallèlement, les lectures de pièces ou de montages d’extraits, sur scène ou à la radio, permettent à un auditoire élargi d’appréhender toute la richesse poétique de dramaturges peu représentés tels Grabbe (Don Juan et Faust, Maison de la Radio, 1999) et Hölderlin (mélanges de textes lus en 1994, 1999 et 2006). La mise en scène de Penthésilée de Heinrich von Kleist par Jean Liermier (2008) s’inscrit dans cette continuité par le choix d’une version, dans une traduction de Ruth Orthmann et d’Eloi Recoing, qui reste concentrée sur les moments dramaturgiques les plus forts et sur les principaux personnages pour toucher plus intimement les spectateurs.
C’est pendant l’Occupation que Goethe apparaît à l’affiche de la Comédie-Française. Après avoir été contrainte de recevoir, pour la première fois, une troupe étrangère, celle du Schiller-Theater de Berlin venue jouer en 1941 Intrigue et amour, la troupe de Molière doit accueillir en 1942 celle du théâtre de Munich qui interprète, à ses côtés mais en allemand,Iphigénie en Tauride. Cette programmation s’inscrit plus largement dans celle des théâtres subventionnés qui mettent à l’honneur les auteurs germaniques.
Torquato Tasso, que Goethe hésita à écrire en français, est traduit et mis en scène en 1989 par Bruno Bayen. Sa traduction ne restitue pas les rimes mais aboutit « à un rythme capable de donner la prose comme étant de la poésie ». L’élégance de la traduction ne facilite malheureusement pas, selon la presse qui relève toutefois la « beauté glaçante, presque immatérielle » de la mise en scène, les relations souvent difficiles entre Goethe et le public français.
Dix ans plus tard, en 1999, à l’occasion du 250e anniversaire de Goethe, qui admirait au contraire la traduction de son Faust par Gérard de Nerval dans laquelle tout reprenait « sa fraîcheur, sa nouveauté, son esprit », la tragédie entre au Répertoire. Pour cette pièce la plus populaire outre-Rhin, marquée par leSturm und Drang et le théâtre forain francfortois, le metteur en scène Alexander Lang se nourrit de ses souvenirs d’enfance en Thuringe et, percevant Faust comme un être plein de vie, il privilégie « les situations toniques, le tragi-comique et le suspense ». Le décor - un cube vert percé de portes ouvrant sur la connaissance - joue sur les vides et les pleins. Mais la surenchère déplaît à la critique qui regrette le vaudevillesque de la mise en scène au détriment de la fantasmagorie et du mystère.
Aujourd’hui, les initiateurs de la « magie nouvelle » sont invités à mettre en scène Faust dans sa dimension poétique et fantastique. La Comédie-Française n’a recouru à cet art que ponctuellement, essentiellement lorsque le texte l’imposait que ce soit pour Bal masqué de Lermontov (mise en scène Anatoli Vassiliev, 1992) comptant des magiciens parmi ses personnages ou la pièce au titre éloquent d’Eduardo de Filippo, La Grande Magie (mise en scène Dan Jemmett, 2009).
Des tours de magie ont agrémenté des mises en scène de pièces du Répertoire comme Ondine de Giraudoux (mise en scène Raymond Rouleau, 1974) et La Cerisaie de Tchekhov (mise en scène Alain Françon, 1998) mais aussi, et bien sûr, des spectacles tout public au Studio-Théâtre, tels que Le Loup de Marcel Aymé (mise en scène Véronique Vella, 2009) et Le Petit prince de Saint-Exupéry (mise en scène Aurélien Recoing, 2001).
Confier une mise en scène à des magiciens est une première à la Comédie-Française qui, dans sa mission de transmettre la quintessence d’une œuvre théâtrale tout en reflétant la diversité des esthétiques, redessine à nouveau ses contours toujours plus poreux aux différents arts.
Florence Thomas, archiviste-documentaliste à la Comédie-Française.
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